Le monument de Mondement a été élevé pour commémorer la première victoire de la Marne (5 - 12 septembre 1914). Le site a été choisi parce qu'il marquait un point stratégique dans le grand front établi par Joffre, de l'Oise à Verdun, pour riposter à l'ennemi et mettre un terme à l'invasion des armées de Guillaume II. Le site du château de Mondement, au sud des marais de St Gond, dominait la partie la plus méridionale du front et verrouillait le passage vers Paris par le sud. Si ce point cédait, l'effort de toute la partie ouest du front pour repousser l'ennemi vers l'est pouvait être compromis. L'endroit était tenu par la 9ème armée commandée par Foch.
Le 6 septembre 1917, une cérémonie présidée par la président de la République Raymond Poincaré commémore au château de Mondement le 3ème anniversaire de la Victoire de la Marne. En 1920, le Parlement décide l'érection d'un monument commémoratif à Mondement. La loi de finance du 31 juillet 1920, par l'article 107, stipule : " Il sera fait par les soins du Ministère de la Guerre un choix des plus remarquables organisations du front pour être conservées et classées comme monuments historiques. Des monuments seront élevés par la Nation pour perpétuer la mémoire de la première et de la deuxième victoire de la Marne ".
En 1929, l'administration des Beaux-Arts organise un concours pour l'édification du monument de Mondement. Le concours est à deux niveaux. Sur les 25 projets proposés au premier tour, quatre seulement sont retenus pour le second tour. Cependant, le jury réuni le 3 juin 1930 sous la présidence de Paul Léon, décide de ne pas attribuer de premier prix (auquel on devait passer commande du monument). Le sous-secrétaire d'Etat aux Beaux-Arts, Eugène Lautier, commande alors le monument à l'architecte Paul Bigot. Il semble que dés ses premiers projets, Paul Bigot ait associé son ami le sculpteur Henri Bouchard à la conception du monument qui doit bien être considéré comme l'œuvre des deux artistes (ils collaboreront dans d'autres occasions). En 1930, l'idée générale est fixée. Le monument devrait être une borne de 33 mètres de haut symbolisant l'arrêt de l'avancée allemande. Au tiers supérieur, plane une victoire ailée. La sculpture de la victoire ( 5,5 m de haut, 11 m de long, 2,20 m d'épaisseur), commande du 8 février 1931, est confiée à Henri Bouchard. La sculpture des bas reliefs prévus à la base est attribuée à. plusieurs artistes primés au concours (une sorte de lot de consolation !) y travailleront: Alfred Bottiau, Albert Patrisse et. René André Duparc. Le musée Bouchard conserve quelques photographies des différents plâtres qui permettent de saisir comment l'architecte et le sculpteur sont petit à petit parvenus à élaborer la forme définitive du monument. La victoire dans certains projets est au centre de la borne et paraît plus gravée que sculptée ; dans d'autres projets, elle se dégage au contraire du reste du monument. Le bas relief inférieur subit lui aussi des modifications. Dans une lettre du 20 février 1933 adressée au sculpteur, Henri Fouillon qui a vu le plâtre à l'atelier qualifie la victoire "d'admirable".
En décembre 1933, le monument est construit mais la sculpture n'est pas encore réalisée. L'ensemble est en béton sur une armature métallique. La teinte du béton proche de celle du grès des Vosges a été voulue pour rappeler le rattachement de l'Alsace et de la Lorraine à la France. La couleur a fait l'objet d'essais variés dont plusieurs morceaux témoins sont conservés au Musée Bouchard. L'intérieur est creux. Le béton a été retravaillé sur l'ensemble de sa surface car les traces du coffrage n'apparaissent pas. Les fondations sont aussi très importantes et descendent à plus de 20 m. Ces travaux avaient coûté à peu près 2 millions de francs et le crédit nécessaire à l'achèvement n'est pas voté. Le monument reste en l'état plusieurs années entouré de ses échafaudages pourrissants. Le classement du site le 4 juin 1934 ne change rien. Dans son numéro du 15 février 1936 la revue "L'Illustration", par un article de J. Clair-Guyot, se fait l'écho de cette triste situation. Le 29 juin 1936, Jean Berthoin, préfet de la Marne depuis le début du mois d'avril, écrit au ministre de l'Education Nationale Jean Zay pour se plaindre : "Cette stèle dont la construction est inachevée paraît être en effet en complet état d'abandon. Je crois devoir en outre vous signaler que cette situation a péniblement frappé les touristes visitant cette région du département de la Marne".
Le 30 septembre 1936, le ministre de l'Education Nationale passe commande à Henri Bouchard de la sculpture de la Victoire. Le travail ne dut pas être très facile. Une photographie conserve l'image d'une équipe de travailleurs posant autour de la maquette en plâtre. Il s'agit peut-être de l'équipe des metteurs au point. Toutefois, la maquette semble trop petite pour être celle qui a du servir à la mise au point. En 1938, le monument est achevé, l'inauguration est fixée au 19 septembre 1939. La déclaration de guerre à l'Allemagne le 3 septembre empêchera évidemment la cérémonie qui n'aura finalement lieu que le 23 septembre 1951. La propriété du monument a aussi son histoire, au départ, le terrain avait été offert par le maire de Mondement M. Jacob, propriétaire du château. Mais, la donation n'avait pas été concrétisée par des textes et la famille du maire en était restée propriétaire. Le terrain est acquis en 1964 par un belge; ses héritiers le cèderont en 1969 au Département de la Marne. actuel propriétaire.
Le monument se présente comme une borne gigantesque haute de 35,5 mètres, l'architecte Bigot ne l'ayant pas trouvé assez équilibré, 2,50 mètres ont été rajouté lors de la construction. Elle est réalisée en béton couleur rougeâtre coulé sur une structure métallique, ses fondations descendent à 22 mètres au-dessous du niveau du sol, l'ensemble, qui représente un poids de 2000 tonnes, fut coulé en 21 jours de travail sans aucun arrêt ni le jour ni la nuit. A la base côté nord sont sculptés en bas relief les effigies des généraux entourant le soldat de 1914. Celui-ci porte bien l'uniforme de soldat des premiers combats: képi, capote à pans relevés, pantalon (il était garance), brodequins. Le casque n'apparaîtra qu'en 1915. De gauche à droite: Sarrail, de Langle de Cary, Foch, Joffre et le Soldat, Franchet d'Espèrey, le Maréchal britannique French, Maunoury, Gallieni. Ils sont placés dans l'ordre qu'occupaient leurs armées sur le front.
Plusieurs inscriptions sont gravées. Au nord, au-dessus du bas relief, deux textes sont inscrits :
A la voix de Joffre, l'armée française en pleine retraite s'arrêta et fit face à l'ennemi. alors se déchaîna la bataille de la Marne sur un front de soixante dix lieues de Verdun aux portes de Paris. Après plusieurs jours de luttes héroïques, l'ennemi de toutes parts battait en retraite et sur toute l'étendue du front, la VICTOIRE PASSAIT.
Le second texte est une citation de l'ordre du jour de Joffre le 6 septembre 1914 :
" Au moment où s'engage une bataille dont dépend le salut du pays, il importe de rappeler à tous que le moment n'est plus de regarder en arrière. Tous les efforts doivent être employés à attaquer et repousser l'ennemi. Toute troupe qui ne peut plus avancer devra coûte que coûte garder le terrain conquis et se faire tuer sur place plutôt que de reculer. Dans les circonstances actuelles, aucune défaillance ne peut être tolérée. " Joffre
D'autres inscriptions indiquent les différentes armées qui formaient le front. Elles sont placées face à la direction du lieu qu'elles occupaient au début de l'offensive. On lit :
Bataille de la Marne 6 - 14 septembre 1914
Composition et situation des armées alliées au 6 septembre,
Armée française commandant en Chef Général Joffre
- Camp retranché de Paris Général Gallieni
- 6ème armée Général Maunoury de Betz à Meaux
- Place de bataille de l'armée anglaise de Villiers-sur-Morin à Jouy-le-Châtel.
- 5ème armée Général Franchet d'Espèrey de Provins à Sézanne
- 9ème armée Général Foch de Sézanne au camp de Mailly
- 4ème armée Général de Langle de Cary du camp de Mailly à Sermaize
- 3ème armée Général Sarrail de Revigny à Verdun.
Le nom des différents corps composant les armées est aussi gravé sous chaque indication. Est aussi gravé sur le haut de la face sud la citation suivante : A tous ceux qui sur notre terre du plus lointain des âges dressèrent la borne contre l'envahisseur.
La partie la plus artistiquement remarquable est la sculpture de la Victoire ailée. Elle apparaît traversant l'orage, écartant les éclairs de la foudre, environnée de gros nuages au milieu desquels percent les pavillons des trompettes annonçant le triomphe. Le monument national devait être à l'image du sacrifice des soldats de la Marne. Il fut giganstesque.
Complètement achevé à la veille de l'occupation de 1940 à 1944, le monument, contrairement à d'autres symboles de la Grande Guerre, ne souffrit d'aucune exactions de la part de l'occupant.
La " Carotte " comme on l'appelle familièrement dans la région, a été inscrit à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques le 4 octobre 1991. D'important travaux de restauration du monument et d'aménagement du site ont été réalisés en 1994 et 1995. Ils ont été financés par le conseil général du département de la Marne. Le monument national de Mondement fut érigé et financé par le parlement. Il appartient désormais au Conseil Général de la Marne.
L'architecte Paul Bigot est né à Orbec, Calvados, le 20 octobre 1870, il entra à l'Ecole des Beaux-Arts en 1889, fut l'élève de Laloux et d'André. Il obtient le premier prix de Rome en 1900 après avoir obtenu le second en 1896. De part son séjour à Rome, il étudia le relief de la cité au IVème siècle, il en établit un plâtre qui fût exposé au salon de 1913 et lui valut la notoriété. Après la guerre, il construisit l'institut d'art et d'archéologie de l'université de Paris. Il était architecte des monuments civils et professeur de l'Ecole des Beaux-Arts. Elu membre de l'Académie des Beaux-Arts en 1931, il décède le 8 juin 1942.
Le sculpteur Henri Bouchard est né à Dijon le 13 décembre 1875. Prix de Rome en 1901, il fût élève de Barrias ; on lui doit plusieurs œuvres commémoratives : le Monument aux aéronautes victimes de la catastrophe du dirigeable République, le Retour de la Lorraine à la France, l'Aviateur et celui Aux héros inconnus de la guerre qui se trouve au Panthéon. Professeur à l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts, Commandeur de la Légion d'honneur, membre de l'Institut en 1933. Il décéde à Paris le 30 novembre 1960.
Alfred Bottiau, sculpteur, est né à Valenciennes le 6 février 1889. Sociétaire des Artistes Français, Chevalier de la Légion d'Honneur.
René-André Duparcq, sculpteur, né à Valenciennes le 28 octobre 1897. Elève de J. Boucher. Sociétaire du Salon des Artistes Français.
Albert Patrisse, sculpteur, né à Fresne-sur-l'Escaut le 20 juin 1892. Elève de Coutant. Sociétaire du Salon des Artistes Français. Médaille d'argent en 1924, d'or en 1930.
Sources bibliographiques
- Journal L'Union du 24 septembre 1951.
- Revue l'Illustration du 15 février 1936
- Les marais de Saint-Gond. Guides illustrés Michelin des Champs de Batailles. 1917
- Dictionnaire des sculpteurs, peintres. Bénézit.
- Premiers ministres et présidents du Conseil depuis 1815. Benoît Yvert Perrin 2002
Page réalisée avec l'aimable participation de Monsieur Jean Fusier de la Conservation Régionale des monuments historiques de Champagne Ardenne.